Quel vitalisme au-delà de quel nihilisme ?

De L’Évolution créatrice à aujourd’hui

La question dont on partira ici est simple, et peut-être un peu abstraite, mais ses enjeux conduisent pourtant au cœur non seulement de L’Évolution créatrice de Bergson, mais de la portée de ce livre dans le siècle et de son problème aujourd’hui.

Il s’agit en effet d’une question que nous formulerions de la manière suivante : la critique de l’idée de « néant » que mène Bergson dans ce livre, à partir de l’idée de vie, permet-elle d’opposer un « vitalisme » à un « nihilisme » dont on aurait pris toute la mesure ?

Or, à peine posée, cette question soulève le plus souvent deux objections ou deux doutes, d’ailleurs liés entre eux, ainsi peut-être qu’un troisième, moins habituel, qui en révèlent justement toute la portée.

Les deux premiers doutes seraient les suivants :

–  on se demande d’abord si Bergson a véritablement pris au sérieux le « nihilisme » comme tel, c’est-à-dire non pas seulement l’idée de néant, même comme principe de l’être, mais celle de l’absence d’un tel principe de l’être, qui est une thèse métaphysique et sans doute aussi un événement ou une époque historique ;

– on se demande ensuite si Bergson ne lui a pas opposé un vitalisme trop simple et trop positif, voire, selon l’expression de Merleau-Ponty un « positivisme », ne faisant aucune place, non seulement au néant, mais à la moindre négativité.

Comme si la critique du néant dispensait Bergson à la fois du nihilisme et de la négativité.

On montrera plus loin que ce n’est certes pas le cas.

Mais même si l’on pouvait répondre à ces deux doutes, il en resterait peut-être un troisième, plus grave car il surgirait de l’expérience même de la vie et non pas du questionnement philosophique.

On se demande en effet si la question la plus profonde du nihilisme, loin d’être une question sur l’être (ou sur le néant) surgie de la spéculation philosophique, ne serait pas une question sur la vie surgie de la vie. A savoir : non pas « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » mais : « à quoi bon vivre ? » ; question qui certes peut surgir d’un désir métaphysique de connaissance, de la spéculation donc, mais qui pourra surgir aussi, et c’est tout différent, de l’expérience réelle de la vie, quand celle-ci est affectée, atteinte, brisée en son cœur.

Bergson répond-il à cette dernière question ? Ne doit-on pas sur ce dernier point, sans cependant abandonner le principe d’un vitalisme qui seul en effet à nos yeux est capable de répondre au nihilisme (et l’enjeu est donc bien capital), le reprendre, le compléter, voire le transformer ? Ce sera la troisième et dernière étape de ce parcours, celle par laquelle nous rejoindrons le moment présent en philosophie, qui nous semble justement caractérisé tout à la fois par la question du mal et celle de la vie, et imposer un nouveau vitalisme.

Mais il aura fallu répondre auparavant aux deux premiers doutes et montrer, en effet, comment le vitalisme bergsonien, bien loin de tout simplisme, « comprend » le nihilisme, aux deux sens que prend le verbe « comprendre » en Français :

-il « comprend » le nihilisme d’abord au sens où il permet de l’expliquer, et cela jusque sous sa forme la plus large en effet, jusque dans sa portée métaphysique, mais aussi éthique et politique, jusque dans l’énoncé qui le caractérise depuis Nietzsche, à savoir la compréhension de la formule « Dieu est mort » ;

-mais il « comprend » aussi le nihilisme ou du moins la négativité, au sens cette fois où il l’inclut, et cela à nouveau jusque dans ses enjeux les plus larges, jusque dans sa cosmologie et même sa théologie, jusque dans l’expérience non seulement métaphysique mais mystique qui culminera pourtant selon Bergson dans ce simple énoncé « Dieu est amour » !

Tels seront en tout cas les deux points à traiter dans les deux premiers moments de cet exposé, avant de rejoindre le troisième, qui abordera celui du mal, ou de la souffrance. On notera (au titre d’une dernière remarque préalable) que chacun de ces trois points déborde de L’Évolution créatrice, non seulement en direction des problèmes les plus vastes du siècle, et de notre présent, mais d’abord en direction du livre suivant de Bergson lui-même : Les deux sources de la morale et de la religion, de 1932. Ce n’est bien sûr aucunement un hasard, tant nous voudrions, sans minimiser la rupture entre ces deux ouvrages, souligner leur lien, seul capable de répondre entièrement à la question soulevée ici, dans toute son étendue.

Mais venons-en maintenant à notre propos.

Un vitalisme qui « comprend » le nihilisme

Si l’on peut soutenir que le vitalisme de Bergson comprend le nihilisme, dans toute sa portée, c’est pour deux raisons, qui sont toutes les deux présentes dès la critique capitale de « l’idée de néant » au quatrième chapitre de L’Evolution créatrice, mais qui seront poussées encore un pas plus loin dans Les deux sources de la morale et de la religion, vingt-cinq ans plus tard. C’est d’abord, en effet, parce que l’idée de néant n’y fait pas seulement l’objet d’une critique logique, ou psychologique, mais d’une genèse pratique ou vitale. C’est aussi parce que cette idée retentit sur celle de l’être, et même du principe de l’être, d’un Dieu qui reste profondément marqué par cette origine négative, même si celle-ci, contrairement à la « mort » qui le frappe selon Nietzsche dans la modernité, ne l’aura pas selon Bergson suivi, mais précédé ! Voyons d’abord chacun de ces deux points dans le livre de 1907, avant de voir comment celui de 1932 les aura, l’un et l’autre, encore intensifiés.

On relèvera d’abord que la critique de l’idée de néant conduit de manière progressive à un point culminant, qui est celui de son origine dans la pratique et dans la vie humaine en tant que telle. Tous les arguments que Bergson a invoqués jusqu’ici n’expliquent pas en effet « pourquoi ce fantôme de problème hante l’esprit avec une telle obstination » (p. 296, une phrase qui aurait beaucoup plu à Jacques Derrida). Toute la critique psychologique, logique, de l’idée de néant ne saurait éliminer un fait réel :

« il est incontestable <..> que toute action humaine a son point de départ dans une dissatisfaction et, par là même, dans un sentiment d’absence » (p. 297).

Ainsi l’idée de néant n’a pas seulement pour origine notre « intelligence » comme telle, comme faculté logique, qui se représente en effet des objets distincts séparés par du vide, mais cette intelligence en tant qu’appliquée à l’action, et en quelque sorte à une absence réelle, présente en tout cas dans la vie même, celle de l’objet du besoin comme tel. La représentation du vide s’ajoute ainsi au sentiment du manque, et ainsi en vient à envahir non seulement notre esprit, mais d’abord notre vie, toute notre vie. Comme l’écrit Bergson en une phrase qui nous paraît centrale :

« notre vie se passe ainsi à combler des vides, que notre intelligence conçoit sous l’influence extra-intellectuelle du désir et du regret, sous la pression des nécessités vitales » (p. 297).

Certes, comme on va y insister dans un instant, l’idée de néant résulte du passage ou de l’application de cette tendance, de notre action à la spéculation, de l’absence d’une utilité à celle des choses et de toutes choses. Il reste néanmoins que toute la vie humaine est placée sous le signe d’une absence non seulement réelle mais représentée et représentée comme réelle. L’homme est l’être pour qui la vie implique le vide, en avant et en arrière de lui.

Mais cela ne suffit à expliquer ni l’idée de néant, ni a fortiori le « nihilisme ». Il y faut pour cela l’application de ce schème intellectuel à l’ensemble de l’être :

« ainsi s’implante en nous l’idée que la réalité comble un vide, et que le néant, conçu comme un absence de tout, préexiste à toutes choses en droit sinon en fait » (ibid.).

Or, ce qui frappe Bergson, ce qui est même le but de toute sa démonstration, c’est que cette idée de néant, cette extension ontologique du vide et de l’absence, est proprement insoutenable pour l’homme. Non seulement elle est illégitime, mais elle est aussitôt complétée, elle conduit nécessairement à une idée de l’Etre capable de la surmonter. C’est ce qu’il avait expliqué avant même d’entrer dans la critique proprement dite :

« le dédain de la métaphysique pour toute réalité qui dure vient précisément de ce qu’elle n’arrive à l’être qu’en passant par le « néant » et de ce qu’une existence qui dure ne lui paraît pas assez forte pour vaincre l’inexistence et se poser elle-même » (p. 276).

On n’accordera cette force qu’à « une existence purement logique » :

« qu’un principe logique tel que A=A ait la vertu de se créer lui-même triomphant du néant dans l’éternité, cela <..> semble naturel » (id).

Ainsi, et c’est le point que nous voudrions souligner ici : le néant n’est pas postérieur mais antérieur à l’Etre, il ne vient pas le contredire, mais au contraire l’impliquer. Puisque le néant est (tout en n’étant pas) et que pourtant quelque chose existe, alors il doit y avoir un être qui est, une identité éternelle et immuable. Telle sera aussi, de manière également fondamentale la genèse, dès L’Evolution créatrice, du « Dieu d’Aristote ».

Certes, cette genèse se masque à elle-même au point de s’inverser ; autrement dit, Aristote et tous les Grecs (selon Bergson) vont de l’Être au néant :

« la position d’une réalité implique la position simultanée de tous les degrés de réalité intermédiaire entre elle et le pur néant » (p . 323 souligné par Bergson).

« Posons donc le Dieu d’Aristote, pensée de la pensée <..> comme d’autre part le néant paraît se poser lui-même <..> il s’ensuit que tous les degrés descendants de l’être depuis la perfection divine jusqu’au « rien absolu » se réaliseront pour ainsi dire automatiquement dès qu’on aura posé Dieu » (ibid).

Ainsi, la genèse de l’Etre par le néant se déguise en genèse du néant par l’Être ; mais c’est la première qui est réelle ; et le « nihilisme » n’est pas dans la mort mais dans la naissance du « Dieu des philosophes ».

Ces deux points essentiels pourraient encore paraître insuffisants ; on y ajoutera donc leur reprise, encore aggravés si l’on peut dire, dans des textes trop méconnus des Deux sources de la morale et de la religion.

Dans ce livre, en effet, Bergson tire toutes les conséquences de la représentation du néant dans notre vie. Celle-ci n’est pas seulement la conséquence logique de notre intelligence appliquée à l’action : elle conduit à la représentation de l’échec et de la mort, dans un univers régi par des lois implacablement nécessaires, et risque donc de nous détacher de la vie. Dès lors, la « nature » a prévu pour la compenser, de l’intérieur même de notre intelligence, ces représentations que Bergson attribue à la « fonction fabulatrice » et qui sont celles non plus d’un Dieu logique ou du Dieu des philosophes, mais au contraire de « puissances divines » favorables à notre action bref, des dieux de la « religion statique » et de la « société close ». Ainsi tout s’aggrave dans un cercle en quelque sorte infernal : la représentation du vide devient celle de la mort dans un monde vide, vide d’intentions favorables, vide de sens. C’est le cas de dire que « Dieu est mort » ; mais il est pour ainsi dire toujours déjà mort, pour ainsi dire dès le premier regard que notre intelligence implacablement logicienne et mécanicienne jette sur un monde aussitôt « désenchanté » (selon l’expression de Max Weber). C’est à ce vide que répond un « Dieu » qui ne fait qu’aggraver le mal, qui est celui de la superstition et de la fable, de la guerre aussi, et cela des sociétés primitives jusqu’à nos sociétés modernes, où le cercle de la clôture ne fait que s’aggraver encore, de la puissance mécanicienne apparemment dépourvue de sens jusqu’aux représentations mythologiques de plus en plus closes et fanatiques. Ainsi, c’est bien le « nihilisme » dans toute sa portée que retrouvent Les deux sources de la morale et de la religion, dans leurs analyses de plus en plus serrées de la clôture, notamment dans le deuxième et le quatrième chapitre (comme nous l’avons montré ailleurs). Comment dire ensuite, même s’il les renverse et les contredit sur de nombreux points, que Bergson n’est pas allé aussi loin ici que les plus grands penseurs de cette question, qu’il est presque inutile de nommer (Nietzsche surtout, et sans doute Heidegger) ?

On reconnaîtra donc que la philosophie bergsonienne de la vie, sinon son « vitalisme », permet d’expliquer et même d’engendrer le nihilisme et pas seulement l’idée de néant, dans toute sa gravité métaphysique et historique.

Une deuxième objection surgira pourtant, non moins importante que la première : cette genèse du néant n’est-elle pas encore trop positive ? si le néant est expliqué comme représentation humaine, la négativité n’est-elle pas encore exclue comme telle de l’être ? N’est-ce pas jusque là qu’il faudrait aller pour pouvoir opposer à ce nihilisme même un « vitalisme » qui ne soit pas son pur et simple contraire ? C’est à ces questions qu’il faut maintenant répondre.

 

Un vitalisme qui inclut la négativité

Nous ne pourrons ici que résumer les principaux arguments d’une démonstration qui va jusqu’au cœur même de la philosophie de Bergson.

Ce sont les trois points suivants :

-certes, tout d’abord, la critique de l’idée de néant atteint son but, à savoir penser l’être, et même Dieu, non plus comme un principe logique mais comme vie et même comme « vie incessante, action, liberté », selon l’une des formules les plus célèbres et énigmatiques de L’Évolution créatrice. et de toute sa philosophie (p. 249/ 706) que nous devrons expliquer ;

-mais, et c’est capital, précisément parce que cette vie est action, et création, tout se passe comme si elle ne pouvait pas ne pas se dédoubler et cela partout et toujours ; s’introduit alors une distance entre le créant et le créé dans leur immanence même ; c’est cette distance que doit surmonter l’intuition pour rejoindre le principe ; c’est à nos yeux le cœur de toute la pensée de Bergson ;

– pourtant, ici encore, Les deux sources vont plus loin, en un geste non moins capital : c’est que cette distance, en effet, ne peut pas être comblée seulement logiquement ou théoriquement ; elle doit l’être pratiquement ou vitalement ; et cela pour deux raisons ; du côté de l’homme, pour relancer l’acte créateur qui risque de se clore ; mais aussi du côté de Dieu, dont la rupture interne devient un désir d’unité ; ainsi l’énoncé « Dieu est amour » qui est l’unique leçon, selon Bergson, du « mystique chrétien », n’est pas seulement celui d’une émotion créatrice mais aussi d’un manque réel, Bergson parle en une formule magnifique d’une « humilité divine » (p. 246/ 1173) qui répond à son autre formule, plus célèbre, d’une « humanité divine » !

Ainsi malgré le principe de l’être qui est en effet vie, nous permettant en un sens bien précis de parler de vitalisme, celui-ci inclut bien, non seulement une « finitude », mais une réelle négativité, si l’on entend par là une interruption qui est bien une « inversion » comme le dit bien sûr Bergson lui-même, ou une séparation qui engendre en effet une souffrance, même si celle-ci est infiniment dépassée par la joie qui résulte de son franchissement !

Mais d’abord pourquoi la critique du néant nous conduit-elle à un être qui est « vie », et même vie « incessante » ?

La réponse nous semble finalement être celle-ci : c’est que le problème est moins celui de l’être que de la venue à l’être, toujours continuée, comme l’atteste le surgissement perpétuel de la nouveauté. Or, si celle-ci ne doit plus être pensée par delà le néant, elle doit l’être à partir de l’être, d’un être qui donc produit toujours de l’être, ou se produit toujours au-delà de soi, temporel, créateur, actif, donc, à l’image de la durée et de la vie ! plus encore il s’agit bien d’une action qui continue, c’est-à-dire qui est moins « infinie » que jamais finie, toujours en cours ! Dieu en ce sens, et en tous les sens, n’est pas fini. La création se poursuit, y compris dans l’univers qui ne cesse de croître.

Mais si Dieu n’est pas fini, et se poursuit, il est pourtant aussi fini en ce sens que se détachent de lui, comme de tout acte créateur, des résultats créés. C’est ainsi que de la vie se détachent des espèces et de notre durée des actes ; c’est le retournement qui fait la dualité profonde de la durée (et de l’espace), de la vie, et finalement de l’univers même. C’est la négativité dont nous soutiendrons donc qu’elle est bien, en effet, au cœur de la vie chez Bergson, plus même que chez Plotin par exemple, puisque ce n’est pas seulement un mouvement qui s’oppose à l’immobilité ; ou un néant qui s’oppose à l’être, mais un mouvement qui s’oppose à un autre, et un type d’être à un autre, et cela en chaque être et dans tous les êtres !

Dès lors on comprend tout à la fois que l’on soit proche et séparé de l’être, à distance et en contact avec lui, permettant à la fois la perte et l’intuition.

Mais cette dualité, encore une fois, ne peut pas rester théorique ou métaphysique, elle prendra donc dans Les deux sources le sens que l’on a indiqué plus haut. La création se découvre comme raison d’être une unité qui aura traversé la séparation, c’est-à-dire l’amour, plus riche que l’unité simple elle-même. Elle sera unité entre créateurs et cela, par-delà une négativité qui devient non seulement séparation et arrêt, mais haine et destruction. On n’a pas, encore une fois, atteint le cœur du bergsonisme si on ne va pas jusqu’à la « nuit obscure » qui caractérise l’accès même à la lumière dans le « mysticisme complet » selon lui.

Mais, même si l’on admet, sous cette forme extrêmement concentrée, que le bergsonisme admet en effet une négativité, qui est polarité et opposition réelle sans artifice dialectique d’aucune sorte, on comprendra que la « positivité » finit toujours par l’emporter, dans un amour qui dépasse toutes les haines, et une joie qui dépasse toutes les souffrances, aussi réelles et indubitables soient-elles ?

Peut-on aller aussi loin ; ne doit-on pas tenir compte plus encore de l’expérience de la souffrance, comme genèse réelle du « nihilisme » et cela sans abandonner le « vitalisme » mais en le déplaçant et en le complétant peut-être ? telle sera bien notre dernière série de questions.

Une rupture qui complète le vitalisme ?

On soulignera ici les points suivants :

-Bergson lui-même distingue dans une célèbre page des Deux sources la « terrible réalité » de la souffrance du « faux problème » métaphysique du mal : il en prend même pour exemple le deuil d’un enfant par sa mère ; cependant à cette réalité s’oppose celle du plaisir, et surtout de la joie « définitive » du mystique (nous avons traité de ce point ailleurs) ;

-mais on peut se demander si les différentes formes de souffrance, plutôt qu’une limite générale de la vie, ne nous indiquent pas les degrés mêmes de la vie, de manière immanente ; et cela, de la « mort » en tant que telle, au deuil ou à certains deuils, comme effet de la perte entre les vivants et qui est en un sens et dans certains cas « pire que la mort » ; ces expériences ne nous apprennent-elles pas, non pas à remonter au principe, mais au contraire à aller vers les effets, autrement dit à comprendre le sens de la vie non pas en amont mais en aval, non pas comme relation à la vie, mais comme relation entre les vivants ?

-dès lors, le vital serait à la fois négatif et « intensif » c’est-à-dire parcouru par des degrés, qui nous renverrait à un vitalisme lui-même intensif, et dont le caractère non seulement temporel, mais individuel et surtout relationnel serait premier. Ce serait la source de ce que l’on peut, sans l’annuler opposer à une souffrance qui est bien perte comme le dit Winnicott du « sentiment d’être vivant » ; non pas seulement une joie, mais un soin ; non pas seulement son contraire mais une relation. Dès lors, la question « à quoi bon vivre » ne serait pas seulement une illusion métaphysique, mais un appel vital.

Ce ne serait pas contredire le vitalisme mais le rejoindre par son bout le plus apparemment opposé ; mais pas si opposé que cela puisque, comme on vient de le voir, plus encore peut-être que toute autre philosophie fascinée par lui et incapable de lui opposer autre chose que le vertige de l’être qui en est pourtant l’autre face, le vitalisme de Bergson, lui-même, est l’une des ressources les plus vitales qui nous restent pour combattre un nihilisme qui ne cesse de revenir nous « hanter ».

Frédéric Worms